Nous conservons des formes, mais elles semblent dormir

« Comme chaque dimanche, cet homme d’un certain âge, pour ne pas dire vieillard, se promenait non loin de chez lui dans la colline. Il empruntait toujours le même chemin, marchait sur les même cailloux et touchait les même arbres. Soucieux de l’environnement, il ramassait quelque déchets égarés par le vent ou par des randonneurs. 

Durant une de ces balades, il vit sur un chemin vers l’ouest une immense bâche verte chiffonnée. Il décidait de prendre ce sentier et atteint le plastique : il commençait par le toucher de son bâton et leva le tissu en l’air mais ne voyant rien, il eu envie de le déplier. Il entrevit d’abord un champignon, ensuite un sapin, mais rien n’y faisait il ne savait pas reconnaitre exactement la forme qu’il voyait.

Un bâtiment au loin attira son attention, un ancien hangar, fait de tôles rouillées. C’était la première fois qu’il rencontrait cet espace. Mais il se dit que peut-être la tente retrouvée sur le chemin aurait une quelconque relation...

L’endroit avait l’air inoccupé depuis longtemps. Il ouvra difficilement la porte principale pour observer ce qu’il y avait à l’intérieur. Dans cette pénombre, il devinait d’impressionnantes étagères poussiéreuses, hautes comme des échelles semblant percer le plafond. 

De nombreuses rangées d’étagères divisaient l’espace en lignes de circulation étroites. Il décida de s’y aventurer. 

La porte grinça et il profita de cette seule arrivée de lumière en l’ouvrant au maximum. 

La poussière n’avait pas été dérangée depuis longtemps, et elle lui offrit un accueil aussi scintillant qu’étouffant. Cela venait lui gratter le fond de la gorge, se déposer dans ses cheveux grisonnants. Comme ça, on aurait pu dire qu'il avait pris quelques années.

Le calme régnait. Il vérifia si personne était présent. Il se sentait comme un cambrioleur s’introduisant dans un appartement. 

Des caisses en bois étaient nombreuses et s’accumulaient bien rangées sur les étagères. Il essaya de lire des écritures sur une des boites qui étaient au niveau de son oeil, mais les lettres avaient été effacées. Il reconnaissait des chiffres ou des dates qui n’avaient aucun sens pour lui. Il alla pour en ouvrir une, avec la même excitation que l’on éprouve quand on s’apprête à déballer un cadeau. Il la déposa sur le sol et la regarda. Mais au moment d’enlever son chapeau, il retint son geste. 

Ses doigts étaient crispés. Il avait l’impression que la boite le regardait aussi et sentait une certaine gêne comme si il n’avait pas le droit d’accéder à son intérieur. Il s’empressa alors de remettre la boite où il l’avait trouvé.

Tout cela lui était égal, ces trésors si bien emballés étaient réunies dans ce lieu, à l’abri de tout regard, pour son seul plaisir. Il les protégeait comme un secret.

Il revint tous les jours dans ce dépôt et abandonna son chemin habituel. 

Il chuchota aux caisses de bois des histoires avec sagesse. Chacune d’entres elles en possédaient une et s’apparentaient quelque peu à sa vie passée. Il ne voulait pas qu’elles oublient et ne voulait pas oublier.

Il n’avait jamais ouvert les caisses mais s'attachait à l'idée que chacune d’entre elles l’écoutaient. » 

Charlotte Morabin & Delphine Mogarra

2018, Ecriture croisée entre Delphine Mogarra et Charlotte Mogarra. 

Charlotte Morabin